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HISTOIRE BASTIDE BOIS FLEURI – PREMIER ÉPISODE

Par Sophie Arrighi

Avec ses grandes tours brunes s’élevant vers le ciel, son vaste parc arboré, mais aussi son portail monumental vestige d’un autre temps, la résidence Bois Fleury est un ensemble emblématique de notre quartier. Les plus anciens se souviennent sans doute de la magnifique maison de maître qui trônait au centre de la propriété originelle et qui portait le doux nom de Bois Fleuri, sans Y.
Les plus jeunes n’auront pas cette chance.
Cette bastide, sacrifiée comme des centaines d’autres à Marseille, n’a laissé aucune trace hormis son portail ouvragé qui fut conservé comme entrée de la résidence moderne.

C’est cette magnifique propriété que nous souhaitons ressusciter le temps d’un article, afin de rendrehommage à l’un des fleurons du patrimoine bastidaire de notre quartier. Hélas ! La littérature reste majoritairement silencieuse sur ce que put être l’architecture de Bois Fleuri.

Même au plus profond des archives municipales, il n’y a que peu de traces laissées par ce joyau du passé. Cependant, grâce
aux précieux souvenirs compilés au moment de la célébration du cinquantenaire de notre CIQ, la bastide Bois Fleuri ne nous échappe pas complètement. Son fantôme continue de planer, et les quelques indices que nous pouvons trouver permettent de reconstituer ce que fut ce lieu d’exception.

Une bastide résolument noble
Si nous ne possédons que peu de données littéraires sur la bastide Bois Fleuri, nous pouvons tout de même déduire un élément fondamental de la lecture des photographies représentant le bâtiment principal. À l’instar de la Magalone, du château Borely ou encore de la Villa Luce, Bois Fleuri s’inscrivait très certainement dans une tendance apparue au XVIIIe siècle, et qui s’est particulièrement développée au XIXe siècle : celle de la bastide comme véritable espace résidentiel construit pour la villégiature d’une population aisée qui démontrait par ce type de possession sa richesse ainsi que sa puissance.

D’ailleurs, parmi les propriétaires qui se sont succédé à la tête de cette bastide, il y aurait eu un certain Eugène Velten qui n’est autre que le fils de Godfried Velten, fondateur des Brasseries de la Méditerranée, mais également conseiller municipal de Marseille à partir de 1874, conseiller général à partir de 1879, puis sénateur des Bouches-du-Rhône de 1885 à 1912.
Eugène Velten, faisait lui-même partie de cette bourgeoisie de riches négociants, et, alors qu’en 1881
son père réalisait une opération très lucrative en vendant son affaire, lui-même fondait à Lyon une brasserie qui ambitionnait de devenir la plus grande de France avec une capacité de 100 000 hl.
L’indicateur Marseillais pourrait sans doute nous renseigner plus précisément sur les divers changements de propriétaire et confirmer cette tendance. Ce que nous savons d’ores et déjà grâce à ces précieux annuaires, c’est que de 1924 à 1926, la bastide appartenait à un certain Marcel Roubaud. En 1927, il n’y avait plus de propriétaire listé et dès 1928, était mentionné la présence d’un orphelinat à Bois Fleuri.

La transformation de l’entre-deux-guerres et ses conséquences sur le bâtiment

Pendant la Première Guerre mondiale, de nombreuses bastides marseillaises ont été réquisitionnées pour être transformées en centres de convalescence militaire, ou en asiles d’accueil pour veuves et orphelins. Ce mouvement de transformation qui aurait pu s’arrêter à la fin du conflit ne fit que s’amplifier, changeant du même coup la destination de nombreux bâtiments prestigieux.
C’est sans doute dans ce contexte qu’il faut interpréter la mutation de Bois Fleuri en orphelinat dès 1927.
C’est en effet cette année-là que, dans le cadre d’un échange de bâtiments, la bastide Bois Fleuri fut attribuée à l’Œuvre de Bienfaisance et de Charité de Marseille. Il s’agissait à l’époque d’une propriété de 7 hectares comprenant des prairies, des bois, quelques terrains maraîchers, un luxueux bâtiment principal ainsi que de vastes dépendances, le tout, situé très en retrait par rapport à la ville dont l’extension était loin d’être celle que nous connaissons de nos jours.

La bastide devint tout d’abord un orphelinat de 75 lits destiné à des fillettes de moins de 15 ans qui vivaient là sous la supervision de 25 religieuses. Dès 1929, en raison du cadre de vie exceptionnel, la vocation du site fut étendue, puisque la propriété devint également, pour un tiers de sa capacité d’accueil, un lieu de convalescence pour jeunes filles. Elle conservera cette vocation de maison de repos jusqu’en 1959.

En 1932, Bois Fleuri s’ouvre à de nouvelles activités. Le domaine propose en effet une colonie de vacances pour les mois de juillet et août, et dès 1934, sont créés une garderie ainsi qu’un jardin d’enfants pour les familles vivant aux alentours.

Toutes ces activités cessent au début de la Seconde Guerre mondiale, mais l’orphelinat et le centre
de convalescence ouvrent de nouveau leurs portes dès juillet 1940. La bastide accueille également dès ce moment de nombreux réfugiés fuyant la Belgique, la Pologne, mais également le Nord de la France.

Le tournant qui scella une partie de la destinée de la propriété se produisit en 1961. Cette année-là,
l’orphelinat change de visage puisqu’il passe sous contrôle laïc, suite au départ de la congrégation religieuse. Les enfants accueillis ne sont plus seulement des orphelins, mais des jeunes placés par L’aide Sociale à l’Enfance après avoir été retirés à leurs familles. Dès 1965, une école voit le jour sur
la propriété, puis, en 1970, sont ouvertes plusieurs classes de perfectionnement destinées à répondre aux difficultés scolaires des enfants.

C’est sans doute dans cette accélération des mutations ainsi que dans la multiplicité des vocations dela propriété que se trouve l’explication du sort funeste réservé à la bastide au milieu des années 1970. Le bâtiment était devenu tout simplement trop vétuste et trop inadapté pour l’institution qu’il accueillait.

La décision fut alors prise de scinder le domaine en deux, de vendre une partie du terrain au promoteur qui construira la résidence moderne, puis de raser le bâtiment principal afin de construire à sa place le bâtiment que nous connaissons maintenant et qui, hélas, n’a rien su conserver du charme de son prédécesseur.
Nous ne pouvons que déplorer cet état de fait, d’autant que la transformation en services médico-sociaux dans l’entre-deux-guerres à permis de sauver de nombreuses autres propriétés marseillaises à l’image de la villa Montléon, devenue centre de rééducation fonctionnelle, ou encore du Château Pierrot à la Pomme, devenu maison de retraite

De rares vestiges perdus dans un océan de modernité
Mis à part quelques éléments végétaux ayant résisté aux affres du temps, seul le portail d’entrée de la propriété a eu la chance d’échapper à la grande destruction des années 1970.
Le portail de Bois Fleuri est un modèle en fer forgé richement ouvragé, ce qui permet de confirmer une fois encore que nous sommes en présence d’une bastide construite par un propriétaire souhaitant exposer sa richesse. Tout comme celui de la bastide Maison Blanche, ce portail allie puissance et élégance en mélangeant des piliers massifs à bossage surmontés de coupes en pierre et
une véritable dentelle de métal en fer forgé teintée en blanc. La seule différence entre les deux réside dans le fait que celui de Bois Fleuri est droit, alors que celui de Maison blanche est disposé en demi-rotonde.

Hormis cet élément de l’entrée, il ne reste du domaine dans son état originel que quelques
alignements d’arbres ayant survécu aux épisodes de destruction puis de reconstruction des années 1970. Ainsi, peut-on encore distinguer deux allées arborées qui flanquent les terrains de sport de la maison pour l’enfance, et qui, à l’origine, matérialisaient deux chemins allant de la maison de maître vers une petite voie de circulation incurvée bordant le terrain sur lequel fut construit par la suite le lycée Jean Perrin.
Pour le reste, nous ne pouvons que nous appuyer sur quelques photographies afin d’évoquer ce qu’était Bois Fleuri du temps de sa splendeur.

Mémoires de la propriété


Nous l’avons dit, la propriété s’étendait sur 7 hectares, et comme toutes les bastides de sa qualité,
elle possédait des aménagements extérieurs à la hauteur de la magnificence du corps de bâtiment
principal. De grands axes de circulation, sans doute nommés après l’arrivée de la congrégation religieuse, permettaient de se déplacer au sein du domaine. Les cartes postales nous montrent encore les allées Notre-Dame ou encore du Sacré-Cœur, bordées d’arbres d’essences diverses, ainsi
que d’une végétation basse harmonieusement ordonnée. Rien ne manque, pas même la
traditionnelle allée de platanes dirigeant le visiteur vers la maison de maître.

Il semble évident à la lecture de ces images que l’aménagement paysager avait fait l’objet d’un travail minutieux de mise en scène, d’autant qu’il était complété par l’existence d’une pièce d’eau assez
étendue, autre symbole de puissance et de richesse rendu possible par la construction du canal de Marseille au milieu du XIXe siècle.

À l’emplacement de la résidence moderne, une photo prise par avion nous montre les bois qui
jouxtaient le bâtiment principal, alors que les terrains maraîchers se trouvaient de l’autre côté, près de là où sera bâti plus tard le Lycée Jean Perrin.
Encore plus touchant, il semblerait que nous puissions repérer les habitations secondaires de la bastide sur cette même photographie : celles-ci seraient situées à l’angle du carrefour que nous connaissons maintenant sous le nom de François Mauriac/Pierre Doize. Une carte postale montrant
la place du village de Saint-Tronc semble le confirmer, puisque nous pouvons voir à cet emplacement le frère jumeau du portail qui a été conservé comme entrée de la résidence moderne. Ce portail disparu était disposé à côté d’une maisonnette sur un étage, à la toiture en bâtière ornée de tuiles polychrome, et qui serait vraisemblablement la maison du gardien.
Cependant, ce qui frappe le plus, c’est encore la beauté de la maison de maître qui en fait peut-être l’une des plus luxueuses ayant existé dans notre quartier.

La maison de maître

Le plan de la maison de maître de Bois Fleuri était carré et correspondait donc au second type architectural caractérisant les bastides provençales traditionnelles. Tout comme à Maison Blanche, elle était installée au milieu d’une vaste terrasse, elle-même disposée en élévation par rapport au terrain, ceci afin de permettre au propriétaire d’adopter une position dominante et de pouvoir contempler l’étendue et la richesse de son domaine. La balustrade de la terrasse était en fer forgé faisant ainsi écho à la beauté et à la richesse des portails ouvrant sur la propriété.
La terrasse était disposée sur une série de neuf arches situées sous la façade principale du bâtiment. 8 d’entre elles comportaient des séries de quatre fenêtres alors que la baie centrale abritait une porte d’entrée. On peut se demander quelle était la destination de cet espace situé sous la terrasse et donnant directement sur le jardin. Peut-être s’agissait-il d’une sorte de verrière permettant d’aménager un jardin d’hiver.

Ce type d’espace fut en effet très en vogue à partir du Second Empire, au point de devenir partie intégrante des pièces de réception de certaines grandes demeures.

La maison comportait un rez-de-chaussée accueillant les espaces de réception, un étage, ainsi qu’un attique aux proportions plus réduites. L’ensemble comportait sept travées en façade, ornées dans la
plus pure tradition classique. Ainsi, les fenêtres des deux premiers niveaux étaient-elles surmontées de simples frises moulurées. La travée centrale abritait une porte d’entrée à fronton semi-circulaire au rez-de-chaussée, ainsi que des portes-fenêtres sur les deux niveaux supérieurs. Elle était semble-t-il bordée de pilastres qui apportaient une forme de solennité à l’ensemble. Les fenêtres de l’attique étaient toutes surmontées de frontons triangulaires simplement moulurés. Le fronton de la travée centrale était plus grand et reposait sur les pilastres qui rythmaient ce niveau.

Les deux façades latérales comportaient 7 travées. Les 3 centrales étaient installées sur un décrochement qui permettait d’apporter à la fois élégance et sobriété à l’ensemble. Les frontons triangulaires n’ornaient que les quatre fenêtres latérales du niveau supérieur, soit celles qui n’étaient pas sur le décrochement.
Enfin, la façade arrière reprenait l’ordonnancement de la façade avant avec, là encore, un très bel accès visible sur une image en particulier. Sur cette photographie, on peut deviner que la porte étaitcomme à l’avant surmontée d’un fronton semi-circulaire. Elle était également flanquée de deux élégantes lampes en fer forgé qui devaient produire un effet tout à fait charmant lorsqu’elles étaient
illuminées les soirs d’été.

La toiture était quant à elle constituée d’un ensemble à quatre pentes de faible déclivité, comme cela était l’usage dans la région.

Conclusion

L’élément le plus touchant, à la lecture de ces anciennes photographies, c’est peut-être la petite barque qui se trouvait sur la pièce d’eau, ou encore ces chaises longues disposées sur la grande terrasse et occupées par des dames s’abritant sous leurs ombrelles. Si vous laissez votre imagination
vagabonder, vous pourrez presque sentir la chaleur du soleil d’été baignant cette bastide
majestueuse.
Nous vivons dans un monde qui change très vite et qui peut en un clin d’œil effacer des traces que nous regretterons de ne plus avoir dans cinquante ans. Même si une conscience de la conservation a fini par émerger, soyons réalistes, tout notre patrimoine ne pourra être sauvé. Marseille n’a jamais été une ville figée dans le temps. Elle a toujours évolué, et, un peu à la manière d’un mille-feuille, les
générations précédentes ont empilé les monuments laissant ainsi peu de chances à la transmission de notre patrimoine dans de bonnes conditions.

C’est pour cela qu’il est essentiel d’archiver le plus de données, car, bien souvent, il s’agira du seul moyen que nous aurons d’éviter que ces incroyables témoignages du passé ne s’évanouissent
définitivement. Bois Fleuri n’a pas complètement disparu. Elle vit encore modestement au travers de
ce texte, et maintenant dans vos mémoires.

Auteur Sophia Arrighi pour le site Sainttronc.com – tous droits réservé


Pour aller plus loin :
Aillaud, G, Marseille, un terroir et ses bastides, Éditions du Comité du Vieux Marseille, 2011.
C’est-à-dire, suppléments au n° 4, 5 et 6, novembre 1999, mars 2000 et juin 2000.
Mihière, Gilles, Les bastides marseillaises : de la villégiature en Provence, Éditions J. Laffitte,Paris, 1993.
Ouvrage collectif, Marseille, La revue culturelle de la ville, Les « bastides », n° 167, mai 1993.

A SUIVRE

EPISODE 2 ET 3 – PROCHAINEMENT

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